Livre : L’affaire des brosses à dents

Chapitre I : prologue

J’admets que mon hygiène dentaire laisse parfois à désirer, et je remercie l’inventeur du chewing-gum et des Tic Tac de me porter secours quotidiennement. Mais avec mon métier, assurer une toilette complète, entre les interrogatoires, les filatures, les heures sup’, c’est pas toujours évident…

Bref, un soir, j’arrive à rentrer chez moi, dans mon studio miteux de Brooklyn, et me rends dans ma salle de bains. Etant donné mon style de vie célibataire, tout est en un seul exemplaire, même dans mes chaussettes parfois ! La gueule enfarinée, je prends ma brosse à dents, et sous mes doigts, je sens un truc pas net : il n’y avait pas une mais deux brosses à dents !

Space, mais pas assez pour m’interroger outre mesure. Trop claqué. Je prends celle qui est la mienne habituellement, fais mon office et m’écroule sur mon lit.

Chapitre II : officieux

Réveil tardif, gueule de bois, je vais pour me raser sans faire trop de copeaux, et là… 3 brosses à dents ! Le whisky du matin n’est pas de trop pour faire carburer mes neurones et prendre cette affaire avec le plus de sérieux !

Retour au commissariat, je plonge dans les dossiers des brosses à dents disparues. Une pile monumentale ! De partout dans la ville, depuis des mois, des brosses à dents disparaissent… Et dire qu’on n’en a pas fait la une des journaux, scandaleux !!! Photos à l’appui, je reconnais l’une d’elles, qui était dans ma salle de bains. Elle appartenait à une jeune fille des quartiers chics. C’est le genre d’affaire à ne pas ébruiter, cela pourrait donner de mauvaises idées…

Sans attendre, je me rends chez la demoiselle, qui s’est réveillée un matin avec son verre à dents vide. Après des mois de thérapie, le trauma est toujours présent, je sais pas si je dois lui annoncer qu’on l’a retrouvée, et tout ce qui tourne autour de la compassion, des mots à choisir, c’est pas ma spécialité. Je la laisse me raconter son  histoire, qui corrobore avec le témoignage de l’époque. Rien de neuf. Même pas le courage d’en acheter une autre. Pauvrette… La relation intime que les gens peuvent déployer auprès de leur brosse à dents me laisse souvent songeur. Je ne m’éternise pas et repars.

Commissariat. Je vais voir le big boss et lui explique ce qu’il se passe. L’affaire est classée totalement officieuse, j’œuvre dans l’ombre, et n’en parle à personne. Ca commence bien…

Chapitre III : Adam

Retour chez moi. Ma salle de bains, quatre brosses à dents. Une merde sans nom dans laquelle je sens que je me fourvoie… Whisky-clope. Rien à faire. Ca brasse tellement dans mon ciboulot que rien ne me détend.

J’hésite à aller interviewer les anciennes victimes, sachant que certaines se sont suicidées, d’autres sont en thérapie longues ou encore en psychiatrie. De toute façon, l’affaire n’existe pas. Une merde, j’te dis !

Commissariat. Retour dans les affaires non classées. Aucun point commun ne lie les victimes de vol de brosse à dents : pharmacie, dentiste, conjoints, enfants, relations extraconjugales, copinage des enfants… Je n’ai ni conjointe, ni enfant, et pourtant les brosses se retrouvent chez moi. Roswell, à côté, ça semble une affaire de débutant !

Je fourre les dossiers dans mon blouson et m’éclipse par la porte de derrière. Je donne rendez-vous à mon indic’ au lieu habituel. Lui non plus n’en sait pas des masses, lui-même victime de vol. Il a su remonter la pente avec une cure de désintox après s’être envoyé le tube de dentifrice ! Il me donne un nom pourtant : un type du nom d’Adam. Et disparaît. Verre Adam, brosse Adam… Trop simple, mais étant données les pistes que j’ai, pour ainsi dire aucune, je me lance à la traque de cet Adam.

Chapitre IV : bar à sourire

Adam est une légende dans le monde des larcins, à un degré tel que certains doutent même de son existence présente ou passée. Mais si c’était lui, ça voudrait dire qu’il a plongé un cran au-dessus dans le niveau de délit. Autant les voitures, les portefeuilles, ça passe encore, mais les brosses à dents… Ca passera mal en cassation !

Je pose mes guêtres dans le Kahn Art’ Coffee, réputé pour ses canards confits. Beaucoup de types perdus et qui tombent dans la délinquance facile trainent par là. A peine la porte franchie que ma présence passe tout sauf inaperçue. Je m’avance voir le taulier qui m’amène dans l’arrière salle.

– Ouaip, Adam, on entend beaucoup parler de lui. Plus comme modèle ! Il ne traine pas dans ce genre d’endroit, vous pensez bien…

Je laisse ma carte. A peine sortie du coffee, je me fais bousculer par un type avec une capuche. Il me fait un signe de la tête pour que je le suive. On s’arrête dans une ruelle à deux blocs du coffee.

– On dirait que vous cherchez Adam. C’est pas ici que vous le trouverez…

– Vous avez une info pour moi ?

– Essayez le bar à sourire à l’angle de Smell et Taste…

Puis disparaît lui aussi.

Angle de Smell et Taste. En effet, il y a un bar à sourire. Tout du moins ce qui peut y ressembler : la devanture est calcinée, les vitres brisées et réparées au ruban adhésif… Bref, ça ne prêt pas à sourire ! Pourtant y a une enseigne « Open ». J’entre.

A l’intérieur, l’atmosphère n’est pas meilleure, mais les personnes qui y travaillent semblent faire bonne figure.

– Les clients se raréfient avec la montée des dégradations. On ne tiendra pas longtemps, me confie l’une d’elles.

J’évoque le nom d’Adam. Les sourires se mettent immédiatement en berne, plus personne ne veut me parler. J’ai touché un point sensible…

Retour chez moi. La nuit tombe, au final j’en sais pas vraiment plus. Y a-t-il un lien entre le bar à sourire et les brosses à dents ? Franchement, là, je vois pas… Un whisky et au dodo.

Chapitre V : carie

Commissariat. De manière toute aussi officieuse, je me plonge dans les dossiers non classés sur les effractions et délits causés sur les bars à sourire. Mazette ! Les dates entre le début des vols et des délits semblent correspondre… Serait-ce une piste sérieuse ? Ne nous emballons pas, ce n’est pas encore Noël… Je me garde mes conclusions hâtives sous le coude, ainsi que les dossiers.

Retour chez moi. Comme il fallait s’y attendre, le nombre de brosses à dents ne fait que croître dans mon verre, tel un amas de cadavres au pied de ma porte avec un écriteau « qu’en faire ? »… L’affaire se corse. Elle sent de plus en plus mauvais, et tous les chewing-gums et tous les Tic Tac du monde ne pourront en masquer l’odeur.

Téléphone. Je décroche. Une voix déguisée m’invite à me rendre à un laboratoire pharmaceutique en sortie de ville. Drôle d’endroit pour une rencontre ! Comme tout est officieux et ne sent pas la rose, je m’y rends.

Laboratoire. Personne. Semble désaffecté depuis des années. J’entre par un trou dans le grillage et à travers les vitres cassées de la porte principale. On dirait un bar à sourire tant l’ambiance s’y colle : cassé, calciné, dégradé… Pas ou peu d’effluves de sang a priori. J’arpente les couloirs à la lampe torche. Je tombe sur la salle des archives. Parmi les documents éparpillés dans toute la pièce, un attire mon regard : une photo de carie. C’est pas du meilleur goût, je l’admets, mais une note y est attachée : « on sait renverser le processus ». Là, mon sang ne fait qu’un tour… Je pars en quatrième vitesse !

J’arrive à prendre rendez-vous avec un ami dentiste, assez réputé dans le milieu, conférencier et tout, et m’accueille chez lui le soir venu. Est-ce par déformation professionnelle que tout son intérieur soit en émail, toujours est-il que ce n’est pas de mon goût. Bref. Je lui précise que ma venue est tout à fait officieuse et m’attends cependant à quelques éclaircissements scientifiques mais prononcés avec des mots simples. Faut pas trop m’en demander non plus !

– J’en ai entendu parler, oui. Cela pourrait totalement révolutionner le métier de dentiste et tout le business autour de la brosse à dents !

– Tu peux m’expliquer en quelques mots ?

– En fait, on a découvert que les caries sont provoquées par des bactéries, et ces dernières sont très friandes de nourriture non naturelle. Par là j’entends tout ce qui ne fait pas partie de notre alimentation quand on était encore des grands singes, à commencer par le pain, puis par les sucres, les plats préparés, les fast-foods, etc.

– Et… ?

– Et la découverte tient à montrer qu’un retour à des légumes et fruits crus en tant que base de notre alimentation, non seulement empêche la formation des caries, mais peut aussi résorber celles qui se forment. Laissant le temps à l’émail de se reformer et aux caries de disparaître.

A ma moue déconfite et dubitative, il synthétise :

– En gros, imagine que tu arrêtes de nourrir les délinquants, ils meurent et il n’y a plus de délinquance. C’est pas joli-joli comme comparaison, mais si ça peut te permettre de comprendre…

Je rentre chez moi. Toujours aussi déconfit et dubitatif. Je ne compte même plus les brosses qui jonchent ma salle de bains. Je tombe dans l’excès de whisky avant de m’écrouler.

Chapitre VI : lien(s)

Réveil. Plus aucune notion du temps. Jour, heure… J’ai du battre mon record de gueule de bois au point de ressembler à Pinocchio. Je tente tant bien que mal de reprendre mes esprits et étaler au-dessus du bazar qui me fait office de salon tous les éléments en ma possession.

On a d’un côté, des brosses à dents qui disparaissent et qui réapparaissent chez moi D’un autre, des bars à sourire qui se font mettre à mal. Enfin, un labo qui semble avoir trouvé la formule magique pour abolir définitivement les caries.

Un whisky s’impose. C’est dans ce genre de situation que je demande pardon à mes parents des soucis que je leur ai créé durant mon enfance, et de mon manque cruel d’assiduité à l’école. A la différence des Sherlock Holmes et autres Hercule Poirot dont j’étais friand, j’avais tout sauf leur génie pour m’en passer…

Aucun fil dentaire ne semble lier tout ça. Première hypothèse : il n’y a aucun lien. Réponse facile de flic qui n’en aurait rien à cirer tant que son salaire est versé à la fin du mois. C’est dans ce genre de situation que je ne pardonne pas à la vie de m’avoir doté d’une conscience professionnelle.

Seconde hypothèse : le lien n’est qu’entre une partie des éléments. Mais lesquels ? Vol-bar ? Vol-pharmacie ? Bar-pharmacie ? Histoire de rajouter encore plus de nœuds à mon cerveau qui baigne littéralement dans l’éthanol !

Troisième hypothèse : tout est lié. Comment et pourquoi, c’est ce que je dois découvrir. Whisky. Je m’écroule à nouveau.

Chapitre VII : marche

Réveil. En fait, non, j’avais pas encore battu mon record en gueule de bois ! Je me réveille, l’œil hagard et vitreux, l’haleine fétide, la barbe de je ne sais combien de jours. La notion du temps part de plus en plus. Sérieux, à la fin de cette affaire, je prends des vacances dans le New Jersey !

Je sors m’aérer, marcher c’est bon pour la santé, paraît-il. A Brooklyn, l’espérance de vie est assez faible à qui n’est pas assez rapide pour fuir devant une lame ou assez fort pour laisser l’agresseur sur le carreau. Bref, c’est pas trop la pollution qui nous élimine à petit feu…

Je marche. La notion du temps n’est toujours pas revenue. Je marche. Je croise un épicier, qui vend de tout sauf des épices. Allez comprendre ! Je m’arrête, prends une pomme et la regarde.

– Elles sont saines et naturelles, elles poussent dans un verger en pleine campagne. Garantie sans pesticide !

Je la contemple, comme si elle pouvait lire mon avenir. Le vendeur doit me prendre pour un fou à ce moment précis de ma vie. Et il aurait aussi raison pour les autres moments. Je la repose et continue de marcher. Mon cerveau fait des floc! floc! à chaque choc de mes boots sur le macadam. Ce n’est pas agréable et ça ne m’aide pas à me vider l’esprit.

A quoi je pense ? C’est tellement embrumé, que je ne sais même pas si cette affaire me traverse encore la tête. Je marche. C’est tout.

Central Park. J’ai dû marcher quelques heures. Je n’ai pas fait attention au changement de lumière. Je m’assieds sur un banc. Je m’écroule.

Chapitre VIII : retour

Réveil. En douceur grâce à un confrère de la maréchaussée qui m’a pris pour un clochard… Je pars sans faire d’histoire. Il fait nuit. Quel jour ? Quelle heure ? Est-ce finalement important…

Je prends la route pour rentrer chez moi. Les bouches d’égout fumantes, les journaux qui volent au vent… Que de clichés sur New York qui sont vrais, hélas. Je descends Broadway, pour me sentir accompagné par les écrans, les lumières, la foule. Besoin de ne pas me sentir seul. Mon cerveau n’a pas décuvé.

On croise de tout et de tout le monde. La foule en soi fait le spectacle, pas besoin des planches du théâtre ou des écrans de cinéma. Le trottoir en guise de siège et la rue nous offre un spectacle des plus cosmopolites. Dans tout ce tas de personnes il y a de futures victimes, des psychopathes, des personnes déjà incarcérées et libérées, des gens qui croient que Dieu nous sauvera tous… Tout pour faire un monde, dit-on, mais franchement, pour certains, on s’en passerait bien !

China Town, sud Manhattan. L’odeur des nems et des fritures s’accommode assez mal avec le goût du whisky qui est devenu mon seul aliment de ces derniers jours. Je continue ma traversée. Ici on laisse les gens s’égorger entre eux. C’est une ville dans la ville. Il y a beaucoup de villes dans la ville ici. Cela ne nous facilite pas la tâche en tant que représentant de la loi. Même les westerns semblaient mieux cadrés.

Pont de Brooklyn. Je m’arrête au milieu. Je regarde dans l’eau. Je n’y vois que des reflets flous des lumières de la Grosse Pomme, et la tête d’un gars qui a perdu tous ses repères. Sauter pourrait débarrasser cette ville d’une inutilité sous-jacente comme moi. Je ne suis pas en état. Je continue ma route.

Mon chez-moi. Si on peut dire. En tous cas, tout ce qui n’est pas au propriétaire m’appartient, quel qu’en soit l’état de délabrement. A commencer par le locataire. Je me pose devant ces dossiers ouverts, ces notes, ces photos, ces témoignages. La notion du temps est toujours abstraite en cet instant. Un peintre aurait voulu me faire un tableau de plein pied que je ne bougeais pas d’un iota.

Finalement, je m’endors sans m’en rendre compte.

Chapitre IX : voisinage

Réveil. On va passer sur le fait de savoir quel jour et quelle heure il est, ainsi que sur le nombre de brosses à dents qui s’accumule autour de mon évier. Je me décide finalement à prendre une douche et à jeter mes bouteilles vides.

J’embarque toutes les brosses à dents dans un sac en plastique, et me ramène au commissariat par la porte de derrière. Direction le bureau du boss. Je lui montre mon sac, il le prend et me demande des nouvelles de l’enquête.

– J’ai trois types d’affaires qui semblent avoir un lien, mais j’ai pas encore trouvé lequel.

– Continue, je te couvre. Moi je me charge de prendre contact avec les propriétaires des brosses volées pour les leur remettre. C’est une sale besogne, mais faut bien que quelqu’un s’y colle…

Je repars, toujours par la porte de derrière. Je retourne chez moi et me pose devant les évidences, qui au premier abord n’en étaient pas. Le temps me revient petit à petit. Près de 10 jours se sont écoulés depuis cette brosse à dents apparue subrepticement chez moi. Et d’ailleurs, qui peut bien venir chez moi sans que je ne m’en aperçoive, pour les y déposer ?

Je fais le tour des voisins, du concierge, pour savoir si quelqu’un avait une personne inhabituelle depuis quelques jours. Nada.

Je remonte chez moi, encore une brosse à dents en plus dans mon verre ! Je pète un plomb !!! Je dévale les escaliers 4 par 4 en recherchant une personne qui s’éloignerait. Rien ! Re-question au concierge. Chou blanc. Le truc de malade !!! Je lui demande si je peux passer un coup de fil de chez lui, car j’ai mon portable déchargé, il accepte et me montre son vieux téléphone à cadran rotatif.

Au moment de l’empoigner (le combiné, ç’aurait pu être le concierge rien que pour passer mes nerfs), je vois une photo de lui lors d’une manifestation Greenpeace. C’était une de ces nombreuses manifestations pour sauver la planète, comme il y en a tant ces dernières années : anti-lobbying, pollution, massacre d’animaux… On ne sait plus où donner de la tête et tout est prétexte à manifester contre les multinationales ! Le concierge discute avec un voisin, je prends la photo en main et la retourne. Je me note la date dans un coin de mes neurones décuvés et me rends aussitôt aux archives de la Police.

Chapitre X : concierge

Commissariat. Je descends aux archives. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mes les archives sont toujours au sous-sol, lieu peu pratique si ce dernier se trouvait inondé… Bref, on s’en fiche.

Je m’approche du responsable pour lui demander s’il a des informations sur une manifestation de Greenpeace à la date que je lui donne.

– Ah oui, je m’en souviens bien de celle-là, elle était différente de toutes les autres, ça concernait une usine de fabrication alimentaire. Habituellement ils s’attaquent aux baleiniers et aux centrales, mais là, ça changeait !

– Tu peux m’en dire plus ?

– Oh ben, on n’a pas su grand chose, il paraîtrait que les plats cuisinés qui sortaient de là favorisaient la formation de caries…

Caries ! Pas besoin d’en dire plus, il semblerait que mon concierge puisse être un maillon de la ficelle qui tient les évènements entre eux ! Je remercie précipitamment le gardien et remonte auprès des dossiers de suspects.

Dossier de mon concierge : Morris Godsson. Mince comme du papier à cigarette, en fait. Quelques échauffourées lors de manifestations, aucune violence physique, pas de vol ou de dégradation. Fausse piste ? J’en suis pas si sûr. Ce n’est pas parce que quelqu’un ne s’est pas fait prendre qu’il est innocent (et l’inverse est vrai aussi).

Je décide donc de garder un œil sur lui.

Chapitre XI : espionnage

Je rentre chez moi, croise le concierge et monte dans ma chambre. Les brosses à dents s’accumulent encore. J’en suis blasé. Même plus le courage de les compter !

Ce qui me trotte dans la tête est mon unique suspect, qui n’est pas un lèche-cul. Morris. Déjà, s’appeler Morris, c’est louche. Il y a des prénoms qui seraient propices lors du développement de l’enfant, à l’amener à commettre des méfaits, et qu’il faudrait bannir !

Je redescends. Je croise le concierge. On ne peut pas dire qu’il n’est pas fidèle au poste. Il me pose des questions de curiosité du fait que j’ai emprunté son téléphone, si je suis sur une nouvelle enquête, etc. Bref, un concierge. Je lui pose de nouveau la question sur les allées et venues d’une éventuelle personne étrangère à l’immeuble. Toujours rien. Suspect et inutile, la totale pour un concierge !

Ma question est : comment l’espionner ? Comment duper celui qui sait tout sur tout le monde ? Il ferme toujours sa porte à clé quand il sort de chez lui.

Malin comme un singe ! Je ne peux refaire le coup du téléphone en panne, ça ne prendra pas deux fois.

Misère… Je remonte dans mon boui-boui. Whisky. Même si, d’après ce que je viens d’apprendre, c’est mauvais pour les dents. Ces dernières commencent sérieusement à grincer à force de ne trouver de réponse à ce problème.

Officieux pour officieux, je me rends au commissariat. Je vais retrouver un subalterne au service Télécom et lui demande de mettre une ligne sur écoute. Avec un petit billet en dessous de table pour que tout ça reste « entre nous ». Le soudoiement coûte cher mais permet souvent des résultats plus lucratifs que les voies officielles !

Au moment de partir, mon subalterne me fait cadeau d’une boite contenant une caméra infrarouge. L’idée lumineuse ! Comme un sourire après un passage au bar à sourire !!! Je rentre chez moi, l’installe dans un coin du salon qui pointe directement sur la porte d’entrée. Elle était programmée pour ne filmer qu’une image par seconde, ce qui permet d’enregistrer des jours sur une simple bande. Je la camoufle suffisamment pour qu’aucun voyant ne laisse suggérer sa présence en pleine obscurité. Whisky. Dodo.

PS : penser à changer de régime alimentaire, ça manque de steak !

Chapitre XII : vidéo

Réveil. Frais comme un gardon mariné. Mon premier réflexe est de prendre la caméra, de la rembobiner, et de la visionner. Mais avant toute chose, cela n’aurait d’intérêt que si une nouvelle brosse à dents était venue orner mon évier. Mais ayant arrêté de les compter, je regarde quand même la vidéo. Je mets en lecture, appuie sur Pause, et passe les images avec le bouton Pause. Il y a 6 heures, soit 21600 images ! Je ne suis pas couché… Normal, je viens de me lever ! Je tente une première expérience : visionner en « vitesse réelle », soit 25 secondes enregistrées par seconde. Ca fait une vidéo de 15 minutes environ. Et être attentif au moindre changement, car ça va aller très vite !!! Whisky ? Non, pas cette fois. On se lance !

15 minutes plus tard, je me rends compte que mon état ne me permet pas d’être suffisamment attentif pour observer les changements d’image… Je prends la bande, en insère une neuve, lance l’enregistrement, et me rends au commissariat. Je passe la bande à mon subalterne pour qu’il fasse une analyse rapide de changement d’image, un truc dans le genre… Perso, sorti de la machine à écrire et d’un bon Smith & Wesson, faut pas trop m’en demander !

– Aucun problème, je vous appelle dans quelques minutes !

Ça, j’aime ! Ce p’tit gars ira loin. Il ira où il voudra, dans l’absolu, mais il ira loin !

Pause café. Ça manque de steak aussi, mais c’est moins saoulant que le whisky. Manque plus que le donut et le cliché du flic newyorkais sera complet !

– J’ai l’analyse de votre vidéo, inspecteur…

– Tu iras loin, petit. Je t’écoute.

– Il n’y a aucun mouvement sur les 6 heures de capture. Personne ne semble être rentré ou sorti de chez vous durant ce temps. J’ai vérifié 2 fois. Désolé…

On annoncera la découverte du corps de mon subalterne dans les journaux de demain, me dis-je, avec une colère renfermée aux portes de l’implosion. Et on suspectera l’inspecteur qui sera la dernière personne à l’avoir vu vivant ! Il n’y est pour rien, le pauvre, mais c’est le seul gars qui était sous ma main à ce moment précis. J’aurais eu un chien, j’dis pas, mais là, ç’aurait été le subalterne !

J’entre dans mon appartement et dans une rage folle. J’envoie tout valdinguer, dossiers, meubles, bouteilles, veaux, vaches, cochons couvées, bonbons, caramels, esquimaux, chocolats… la totale ! Whisky ! Whisky Whisky Whisky ! J’en peux plus d’ces conneries !!! Je m’écroule, saoul.

Chapitre XIII : trou sans fond

Réveil. Encore et toujours, réveil. Merde, ne me laissera-t-on pas mourir en paix ??? Pour une fois qu’une chose de bien pourrait arriver sur cette planète… Pourquoi moi, bordel ?

Tout concorde à ce que Morris soit le coupable : le passif chez Greenpeace, les recherches pharmaceutiques, les bars à sourire, et un nom qui veut dire Fils de Dieu, et se faire passer pour Adam… Bref, manquerait plus qu’il n’ait pas 75 ans et qu’il manque de tomber à chaque pas pour le coffrer direct !

Faut que je sorte m’aérer. Une fois de plus. Deux fois dans la même semaine, c’est dire que je vais mal. Changeons de route. Manhattan n’est pas un lieu propice au repos sur les bancs publics, si ça devait recommencer. Le Queens, quartier des reines ? Ça m’étonnerait beaucoup ! On s’en fout, là bas, au moins, on ne m’embêtera pas à squatter un reposoir à fessier…

Je marche. Les quartiers s’enchaînent, tous avec leur architecture et leur population. Plaques d’égout fumantes. Journaux volants au vent. Il y a plus de tâche de sang sur le bitume qu’à Manhattan, et moins de salles de cinéma.

Un square. Un banc. Le temps. Quel temps ? Comment est le temps ? Radieux ou pluvieux ? Long ou court ? Je pose mon séant sur le dit banc. Je regarde le temps passer. Les secondes, les minutes, les heures, les nuages, le soleil. Sous les ronrons des voitures, le cri des klaxons, quelques coups de feu au loin, mon attention baisse, une brume épaisse envahit mon champ de vision. On se croirait à Londres, les jours où il ne pleut pas. Je ne vois rien, n’entends plus rien, les cris et les ronrons s’effacent comme les résidus d’un écho. Je ne sens plus mon corps, mes jambes, mes bras. Un total lâcher-prise. La sensation de tomber dans un trou sans fond ni parois. Et pourtant je n’ai pas peur, peut-être n’en ai-je pas la capacité avec tout le whisky dans lequel je baigne… La brume s’obscurcit, le silence prend de plus en plus de place.

Et là…

Chapitre XIV : révélation

Et là…

Tel un furoncle sur un nez en plein milieu de la figure, un détail me saute au visage. Le genre de truc, t’aurais enquêté des années sur l’affaire, que tu ne l’aurais jamais trouvé. Le truc de ouf !

Le lien entre tous ces éléments, le chaînon manquant entre l’homme et le singe, la Vérité sur les origines de l’Univers, et la recette miracle pour garder sa prostate en bonne santé réunis dans une seule et même pensée. A prendre au sens métaphorique, cela va de soi !

LE SUBALTERNE EST DE MECHE AVEC LE CONCIERGE !!!!!!

Veni, vidi, vici, alea jacta est, ad libitum, etcaetera !

Je me réveille en sursaut. Tel le pénitent touché par la grâce divine, j’ouvre mes yeux, aveuglé, par ce qui ressemble étrangement à la lumière d’un réverbère juste en face de moi. C’est moins poétique, mais ça doit faire le même effet, j’imagine.

Ni une, ni deux, ni tous les autres chiffres de l’alphabet, je hèle un taxi pour qu’il me dépose au commissariat. Je dois trouver des preuves pour confronter tout ce petit monde…

Chapitre XV : suspicion

Scénario habituel depuis quelques temps, j’entre par la porte de derrière, me faufile dans les fichiers du personnel, recherche le nom du subalterne. Il a beau être marqué sur son gilet, j’ai pas la mémoire des noms. Ça la fait moyennement pour un flic ! Un nom à consonance irlandaise… MacIntosh, MacDouglas, MacAdomia, MacEuentrelesjambes… Je fouille et tombe sur un MacDias. Oui, MacDias ! En irlandais on pourrait le traduire par « fils de Dieu », comme Godsson !!! On ne s’emballe pas, ce n’est toujours pas Noël, dans le jargon on peut appeler ça des coïncidences. Mais ça commence à en faire beaucoup !

J’ouvre le dossier : Erwan MacDias, fils d’immigré irlandais, bonnes études, casier vierge, pas de famille connue. Et vu comment il m’a ciré les bottes, on peut dire que j’ai mon suspect (suce-pet) avec Godsson et mon lèche-cul avec MacDias ! J’ai besoin de jeux de mots vaseux pour me détendre l’esprit…

Une adresse : 1664 Alco Hole St. C’est à quelques blocs de chez moi. Encore une coïncidence ? J’ai à la fois trop et pas assez d’éléments pour coincer qui que ce soit…

Pas le choix, je vais devoir le filer, comme la laine de mes moutons dondaine !

Chapitre XVI : fosse à purin

Suspecter un confrère, censé représenter l’ordre et la loi, c’est comme manger un steak avarié ou boire un whisky-coca. C’est pas bon du tout ! Cela peut avoir des répercussions monumentales et engendre très souvent un climat de doute permanent qui s’incruste dans les esprits. Et pour peu que la presse s’en mêle et c’est le discrédit total ! Bref, ce que je pensais être une affaire merdique ressemble à un mélange entre une station d’épuration et une fosse à purin…

En parler au big boss ? Impossible : non seulement mon affaire n’existe pas mais je n’ai aucune preuve directe d’incrimination de MacDias. Je crois que, quand je verrai des crottes de chien sur le trottoir, je les vénérerai comme étant le mieux que ce que ma vie peut être…

Filature. Jumelles, calepin, stylo, je suis armé. Je n’ai aucune idée de l’expérience que peut avoir MacDias du métier d’enquêteur ou de la filature en particulier. Peut-être m’a-t-il déjà repéré ou le fera-t-il rapidement, voire feindre le fait qu’il m’ait repéré et agir dans le sens contraire de ce que j’attends. Je me sens pris dans une partie d’échecs, la reine cherchant à coincer un cavalier. Ce dernier a l’avantage de pouvoir menacer la pièce la plus puissante en se mettant dans ses angles morts. Oui, j’ai beau être une brute épaisse, je connais les règles des échecs !

Maintenant, je dois faire un truc que j’ai pas l’habitude : réfléchir, mais à un degré défiant toute concurrence !

Mon hypothèse la plus probable : Godsson qui est le cerveau, MacDias le fidèle qui est dans les petits papiers confidentiels et qui joue les bras et les jambes du cerveau, quelques sous-fifres pour les larcins et les vols en mode anonyme, Greenpeace en couverture… Une chance sur un milliard que ça soit ça, mais si c’est le cas, demain promis je joue au Loto !

(Y a pas de Loto aux USA mais qu’est ce qu’on s’en fout !!!)

Chapitre XVII : boss

Commissariat. Porte de derrière. La routine habituelle… Je me rends directement au centre de gestion des télécoms, et profite de la pause café-donut de l’équipe pour rechercher la bande que j’avais passée à MacDias. Je la trouve facilement, et l’insère dans le magnétoscope. Vide. Si ça c’est pas une évidence, je ne m’y connais pas ! Mais cela restera ma parole contre la sienne. C’est l’inconvénient majeur des affaires officieuses, rien n’est consigné ou archivé. Je me baignerais dans les égouts du Bronx que je ne serais pas autant dans la merde que maintenant !

Je pourrais me plonger dans les registres des entrées-sorties de MacDias pour voir si ça colle avec les brosses à dents chez moi, mais ayant perdu la notion du temps depuis deux semaines, cela me sera impossible d’établir la moindre comparaison.

Je vais voir le big boss. Juste pour l’informer que je piétine et prendre des nouvelles de la redistribution des brosses à dents. Sale besogne, on sait, mais certaines ont pu retrouver leur foyer, non sans mal. Les autres devront inévitablement finir à au crématorium, sans plus de cérémonie. J’aurai une pensée pour elles et leurs anciens propriétaires.

– Patron, qu’est-ce que vous savez de MacDias ?

– Quoi, tu as des soupçons sur un de tes gars ?

– Je ne peux rien dire pour le moment. Il a une petite amie, il est réglo ?

– J’ai rien entendu d’autre que le travail qu’il fait. Ni plus ni moins, il fait ce qu’on lui demande, et assez bien la plupart du temps… Tu veux pas m’exprimer ta pensée ?

– Pas pour le moment, j’ai rien de concret.

– OK. Courage, man !

Soupçon n°4 : le boss couvrirait-il MacDias ?

Chapitre XVIII : complot

Manquait plus que ça : soupçonner le boss. Et pourquoi pas le maire et le président, tant qu’on y est ??? Ça fait 20 ans qu’on bosse ensemble, et s’il était mêlé à une quelconque affaire, ça se saurait !

Appartement. Whisky double. A la santé du capitaine Synboga et au maire Dievadels ! Manquerait plus qu’ils aient un nom qui veuille dire « fils de Dieu » en Russe ou en je ne sais quelle langue d’Europe de l’Est…

Deux semaines, et tout ce que j’arrive à faire, c’est soupçonner toute la hiérarchie politique, tel un anarchiste conspirationniste de bas étage ! Une théorie du complot ? Entre Greenpeace, le labo, les brosses à dents, mes preuves qui partent en fumée, des personnes au même nom mais dans des langues différentes… Et Adam, une légende urbaine…

Tout cela ressemble à un feuilleton de fin de soirée à petit budget, devant lequel on aurait des scrupules de s’endormir devant tellement c’est mauvais !

Y a pas, faut passer par des voies totalement contraires aux codes de déontologie de la police. Je vais prêcher le faux pour soutirer le vrai, et envoyer un courrier anonyme à un journal local, juste histoire de faire le, comment on dit… « bouse » ? « baise » ?donner des coups dans la fourmilière !

Chapitre XIX : journal

Appartement. Je sors ma Underwood qui prenait fortement la poussière en bas du placard, à côté de mes boots, dont elle a certainement récupéré l’odeur aussi. A défaut de taper une lettre anonyme, je taperai une lettre olfactive ! Quand je disais que cette affaire sentait mauvais !!!

J’ôte la poussière, remet en place la bande d’encre, récupère un tas de papier jauni et tout aussi malodorant, et pour lequel aucune brosse à dent ni aucun Tic Tac ne peut rien y faire. Je prends une feuille, la glisse dans le rouleau, et commence à taper. « Toothbrush, A God affair ». A priori, l’encre ne semble pas avoir trop séché avec le temps. Je continue.

Je raconte une histoire un peu loufoque, à connotation divine, en faisant croire que les disparitions des brosses à dents sont l’œuvre du Fils de Dieu, Adam, qu’ils ont agi pour des raisons fanatiques, l’Ordre des Caries, et qu’ils prônent un retour de la Sainte Dent… Totalement loufoque, mais il suffit qu’ils le publient pour que le premier coup soit asséné. Il faut aussi rester dans le concret : saccage des bars à sourire, le laboratoire, la manifestation de Greenpeace… Le tout cousu de fil dentaire blanc !

Je prends soin de tout taper avec des gants, pour limiter les empreintes. Je rédige quelques exemplaires de la même histoire, en modifiant 2/3 détails, et vais jeter la machine dans une benne à quelques blocs de chez moi, à l’opposé du commissariat.

Je fais un petit tour pour déposer mes exemplaires dans des journaux locaux et attends patiemment les représailles.

Retour chez moi. Whisky triple. Coma éthylique.

Chapitre XX : pigiste

Quelques jours plus tard, un journal un peu ésotérique publie l’article, tel qu’il a été tapé, au milieu d’autres textes prônant la fin du monde par l’Apocalypse, des prédictions de Nostradamus et autres balivernes pour déjantés congénitaux. Meuh non, je n’ai aucune pensée catégoriste !

Sauf qu’un de ces exemplaires atterrit malencontreusement sur le bureau d’un pigiste du New York Times, qui sait lire entre les lignes et déterre les faits divers autour des saccages et de la manifestation. En bon reporter, il recueille les informations, les classe de manière chronologique, fait des liens non sur les faits, mais sur les plausibles intentions derrière les actes. Evidemment, la cause religieuse est totalement fallacieuse. Cependant, il pense à faire une recherche sur Adam, et tombe sur ce nom dans d’autres affaires, sans aucune preuve ni photo directe le concernant. Un joli casse tête, un Pulitzer à la clé ?

Son dossier se monte en quelques jours. Il lui manque une pièce dans son puzzle, il n’a aucun nom qui peut se regrouper. Les Fils de Dieu… Qu’est-ce que l’auteur a bien voulu transmettre dans ce titre ?

Fils de Dieu, « God’s sons »… Et pourquoi pas un nom de famille, mais dans une autre langue ? Quelques recherches sur des sites de traduction, et il tombe sur des « Figlio di Dio » en italien, « Anak Dewa » en javanais, et recherche à chaque fois des patronymes dans les annuaires et articles passés. Deux noms arrivent à ressortir : Le capitaine Dimitri Synboga (en russe) et le maire Niklav Dievadels (en letton). Rien, évidemment sur MacDias et le concierge. Trop beau pour n’être qu’une coïncidence. Si ces personnes sont liées dans le vol des brosses à dents, même de manière indirecte, ce sera la une du journal !

Il en parle au rédacteur en chef, qui suit de près cette affaire de brosses à dents volées. Personne n’est au courant du fait que certaines ont retrouvé leur propriétaire. Après tout, les mauvaises nouvelles font mieux vendre que les bonnes…

– Ton article est à double tranchant. Soit y a vraiment quelque chose, et on pose une bombe atomique sur l’administration de la ville, soit ce n’est qu’un tissu de mensonges, et la bombe explosera chez nous !

– Alors je fais quoi, patron ?

– On joue la prudence, pas de page une pour le moment, qui est occupée sur l’effondrement boursier des compagnies de chewing-gums à cause de l’aérophagie qu’ils provoquent. Réécris ton article en 200 mots en l’incluant que des hypothèses, faut mettre le doute dans la tête des gens. Si c’est faux, ça passera plus inaperçu.

Dès le lendemain, le New York Times publie un encart mentionnant, sous couvert d’une rumeur, tous les faits relatés et les plausibles liens avec le maire et le capitaine de la police. Encart qui ne manque pas d’être lu par lesdits maire et capitaine…

Chapitre XXI : départ

Téléphone. D’un côté le maire, de l’autre, le capitaine de la Police. Moi je suis dans le couloir du commissariat, pause café-donut. J’entends le capitaine parler avec une colère fortement retenue, et qu’il me convoque avec véhémence dans son bureau. Fait que ne tarda pas…

– Dis-moi, c’est quoi ce ramassis de conneries dans le journal ?

– Je suis au courant de rien, je n’ai que des suspects mais aucune preuve. Et à savoir comment la presse a pu en avoir vent…

– Ça ne serait pas lorsque le type vient déposer les brosses chez toi, il aurait pas pu tomber sur tes affaires ? T’aurais pas été négligent à ce point-là, quand même ! Tu empestes le whisky à des kilomètres, merde, je t’ai demandé de la discrétion !

– Bah, de toute façon, je n’avais aucun soupçon sur vous ou le maire, et si vous êtes innocent, l’affaire passera vite…

– On voit bien que tu ne connais pas ces cancrelats de journalistes, un politicien ou un administré à faire tomber, c’est le pot-aux-roses ! Va-t-en, éclipse-toi quelques jours, où tu veux mais loin de la ville. Vide ton appartement des dossiers et autres pièces sensibles, quitte à les brûler s’il le faut !

Je sors, je jubile intérieurement, avec le sentiment d’avoir appuyé sur le bon bouton qui fait bien mal !

Je retourne chez moi. L’appartement est totalement vide. Plus un meuble, plus un dossier, plus une brosse à dents ! Quelqu’un a fait le grand ménage avant moi…  En effet, il est temps que je quitte l’Etat pour de bon, et sans laisser d’adresse !

Je sors, tourne dans une ruelle, démonte mon téléphone portable en enlevant carte Sim et batterie, et jette le tout dans les égouts (qui, rappelons-le, sont fumants à New York).

Banque. Je demande mon solde et clôture mon compte. 300 dollars, j’irai pas bien loin !

Gare centrale. Premier car pour le New Jersey. Je voyage léger, c’est un des avantages de ne plus rien avoir… Pendant le trajet, l’article du New York Times semble avoir fait écho auprès d’autres journaux nationaux, chaînes de télé et de radio. Je jubile, une fois de plus. Et m’endors.

Chapitre XXII : épilogue

Cape May, New Jersey. Tous ceux qui veulent descendre descendent. Dans tous les cas, après, c’est l’océan !

Je me trouve un motel aux abords de la ville. A quelques minutes à pied, y a un bon resto routier. J’arrive à m’y faire embaucher sous un faux nom pour les petites tâches : ménage, vaisselle, un peu de comptoir. C’est pas le must mais au moins je ne me retrouve pas à la rue…

La radio tourne en boucle toute la journée. Régulièrement l’affaire des brosses à dents prend une dimension nationale, et on se rend bien compte de l’ampleur de la machination. Les études sur la rémission des caries sont publiées, et les consciences commencent à s’éveiller à une autre forme d’alimentation, pour limiter les passages chez le dentiste et les guerres avec la sécurité sociale. Cela reste bien sûr une minorité d’entre nous. Perso, j’ai du mal à me passer d’un bon steak, mais ça, vous le savez déjà !

Je sympathise avec quelques clients réguliers, routiers et voisins. C’est bien plus humain que tout ce que j’ai pu faire jusqu’à présent !

J’ai été suspecté par un portrait-robot, il y a quelques jours. La police locale a eu du mal à me prendre les empreintes, le bout des doigts rongés par la javel (je l’ai un peu fait exprès…).

Au final, que retenir de cette histoire ? Ce n’est pas en volant les brosses à dents qu’on empêchera les gens de se les brosser. Au vu de l’ampleur de l’affaire, je pense que peu de personnes dans ce bas monde avaient idée de tout ce que cela pouvait impliquer. Les détracteurs peuvent toujours aller se brosser, d’ailleurs !

De mon côté, je me suis racheté une brosse à dents. J’en prends bien soin. Je garde mes caries et mon plombage comme des trophées d’une époque qui pourrait tendre à disparaître. Nostalgie de la fraise…

Il est l’heure. Je fais la fermeture. Je rentre dans ma chambre de motel. Whisky.  Dodo.

 

Cette histoire est inspirée d’un fait réel…
Cependant, toute ressemblance avec des personnages réels ou fictifs
 peut avoir été volontaire à un moment ou à un autre de la rédaction !